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La Vie ChonChon
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2 janvier 2014

Aime et fais ce que tu veux

Aime et fais ce que tu veux

L'homme, spirituel et temporel.

Le Père Adam (Andrzej Chyra, parfait), un jeune prêtre jésuite charismatique, très ancré dans la réalité sociale, au plus près de ses ouailles, rejoint une paroisse rurale et s’occupe d’un foyer avec le professeur Michal (Lukasz Simlat) accueillant de jeunes adultes, parmi lesquels Adrian (Tomasz Schucardt), Rudy (Kamil Adamowicz, roux, flamboyant et presque sculptural), Gajo (Mateusz Gajko, n'osant avouer son homosexualité), Koko (Jakub Gentek), Babun (Daniel Swiderski).

Par son implication, il suscite rapidement l’admiration de tous. Mais peu à peu, son attirance pour un jeune homme du centre, Lukasz, se transforme en véritable chemin de croix, d'autant que le jeune Gajo, lui-même ne supportant plus du tout son homosexualité depuis l'arrivée du beau blond Charlie aux avances duquel il finit par céder, se suicide.

Habité par une foi véritable mais rongé par la culpabilité, il tente en vain de lutter contre cet amour naissant…

Quel titre ! Commencer l'année 2014 cinématographique par cette citation de Saint Augustin (d’Augustin d’Hippone - né en 354, mort en 430), évêque, philosophe et théologien d’origine berbère considéré comme l’un des Pères de l’Eglise latine), "Aime et fais ce que tu veux", je n'avais pas espéré plus bel augure.

Alors que les médias se bornent à rapporter des histoires d’abus sexuels mettant en scène des prêtres, Malgoska Szumowska et son co-scénariste (et co-producteur, et directeur de la photographie) Michal Englert ont souhaité s’intéresser à la psychologie de l’homme de foi et montrer l’amour que ce dernier pouvait ressentir : "J’ai volontairement décidé de m’éloigner d’un fait-divers, et j’ai voulu réaliser un film sur la solitude terrible du prêtre. Je voulais montrer l’amour, le besoin d’amour, même si, du fait de sa nature, l’amour que je décris est considéré comme un pêché", indique la réalisatrice.

Le film est né suite à un travail de longue haleine de la part de la réalisatrice Malgoska Szumowska. Cette dernière a, en effet, pris quatre années pour écrire et peaufiner son histoire, suite à la lecture d’une brève rapportant le meurtre d’un prêtre par un jeune garçon.

Aime - Chyra & Kosciukiewicz - forêt

S’attaquer à un sujet comme l’amour des prêtres n’est pas chose aisée, surtout dans une Pologne encore très catholique : "Lors de l’écriture, j’avais une forte appréhension sur la réaction qu’un tel sujet pouvait susciter notamment auprès de la droite conservatrice et des milieux proches de l’Eglise. Il règne encore dans ce pays un tabou très fort et ce, malgré l’influence des média qui abordent ce sujet de plus en plus librement (…) En Pologne, nous avons encore beaucoup de mal à accepter les différences", explique la réalisatrice. Malgré ses peurs, la Polonaise n’a pas abandonné son idée. Comme la cinéaste le pensait, son film n’a pas manqué de susciter la polémique en Pologne à sa sortie, mais a replacé la question de la sexualité au centre des conversations : "Il y a un fort rejet des conservateurs, mais le centre et le centre gauche adorent le film qui a touché 150 000 personnes pendant les trois premières semaines de son exploitation. Ce film dont tout le monde parle, relance le débat et des choses sont en train de bouger en Pologne", note Malgoska Szumowska.

La réalisatrice n’est pas une grande fan des castings. Aussi, elle se refuse à en effectuer et contacte directement les acteurs qu’elle a pu observer au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Ce fut le cas pour Andrzej Chyra ("Katyn" de Andrzej Wajda en 2009, "All that I love" de Jacek Borcuch en 2011, "Elles" de la même Malgoska Szumowska en 2012, et le très beau "La Terre Outragée", histoire qui raconte que la vie était belle à Tchernobyl il y a 25 ans) et Mateusz Kosciukiewicz (compagnon de la réalisatrice, vu dans "Tatarak" d'Andrzjek Wajda en 2009, et dans "All that I love" de Jacek Borcuch en 2011), à qui elle pensait dès l’écriture du film. Concernant les seconds rôles, elle a misé sur la proximité. "Nous les avons trouvés autour du lieu de tournage, dans des petits villages. Ils étaient très agressifs au départ. Le fait que je mette beaucoup d’énergie dans la préparation et durant les répétitions m’a permis de passer du temps avec eux, de les observer avant de les choisir et d’être prête une semaine avant le tournage", révèle-t-elle.

Aime - Andrzej Chyra - Bleu 1

Aime - Andrzej Chyra - Bleu 2

Il faut noter la présence de Michel Englert au générique, ami de la réalisatrice depuis l'université, qui cumule ici les rôles de co-producteur, de co-scénariste et de directeur de la photographie. Il a toujours travaillé avec Malgoska Szumowska, "Aime et fais ce que tu veux" étant leur septième long métrage ensemble. Il a travaillé, notamment, sur "La Vallée des Fleurs" de Pan Nalin en 2007, "All That I Love" de Jacek Borcuch en 2011, "Elles" Malgoska Szumowska en 2012, et "Le Congrès" de Ari Forman en 2013.

Aime - Mateusz Kosciukiewicz

Aime - Mateusz Kosciukiewicz et enfant

Ici, son travail sur la photographie est absolument remarquable, composant d'une part une palette de gris-bleu somptueuse (ce que n'avait pas réussi à faire Abdlellatif Kechiche) semblant symboliser le spirituel attaché à Adam (voir les deux photographies ci-dessus), d'autre part une palette d'ocre (qui rappelle parfois celle de Terrence Malick) semblant symboliser le temporel attaché à Lukasz (voir les deux photographies ci-contre). Autrement dit, chacune des deux palettes semble attachée précisément à un des deux principaux protagonistes, la gamme de bleu-gris pour Adam, la gamme d'ocre pour Lukasz. Superbe tavail !

Aime - Andrzej Chyra - ocre

D'autant que c'est très finement fait, Adam n'étant filmé dans un ton ocre (photo ci-contre) qu'après la très belle scène de sexe et la nuit d'amour avec Lukasz, après qu'Adam a lavé le visage ensenglanté de Lukasz suite à une bagarre avec l'arrogant et fielleux Charlie.
Et nul ne pourra nier la beauté de la photographie ci-contre, particulièrement lumineuse, de cette lumière qui pourrait illustrer la présence du Christ, alors que précisément, elle illustre l'acte d'amour, la geste sexuelle. Le temporel, et non le spirituel.

Aime - Kamil Adamowicz

Abdrzej Chyra campe un prêtre solide, certes troublé par son amour pour Lukasz, mais n'affichant jamais, même dans sa solitude, même continuellement en proie au doute, de "déchirement" très exprimé. En effet, son jeu est très sobre, très "pacifié" et intériorisé, presque en demi-teinte, comme le gris-bleu qui lui est si magnifiquement attaché. Mateusz Kosciuskiewicz (qui a des airs, surtout de profil, de Gaspard Ulliel, mais jouant nettement mieux) est un Lukasz très subtil. En effet, il n'est pas particulièrement fougueux dans son amour pour Adam, mais plutôt imprégné par son amour et son désir, très mûr, comme l'ocre des blés qui le symbolise si bien. Et même s'il peut être violent lorsqu'il est témoin d'insultes à l'agard d'Adam, même si l'on sent qu'il aspire à "faire ce qu'il veut", il reste dans une forme de contrôle, presque de quiétude, comme s'il avait l'assurance du bien fondé de son amour, et de son avenir avec Adam. J'ai noté aussi la très belle présence, dans le rôle de Rudy, de Kamil Adamowicz (petite photographie ci-contre, désolé, je n'ai rien trouvé d'autre).

 

Aime - Chyra & Kosciukiewicz - eau

Aime - jet d'eau

L'eau est un personnage très important du film. Et si le gris-bleu est l'air et Adam, si l'ocre est la terre et Lukasz, c'est bien l'eau qui les réunit tous les deux. Et l'eau est là sous toutes ses formes : l'étang (magnifique scène, comme un baptème), la pluie, les jeux avec le jet d'eau, les larmes, et même l'urine.
Et là encore, ce qui est notablement subtil, c'est que dès lors que l'eau n'est pas attachée à ce qui spirituel, mais à ce qui est temporel, c'est l'ocre qui prime sur le gris-bleu.

Je reviens sur le suicide du jeune Gajo, qui semble être un hommage à celui du jeune Martineau, dans une des premières scènes de "Another Country - Histoire d'une Trahison", un classique du cinéma en général (Prix de la Meilleure Contribution Artistique à Cannes, en 1983 ou 1984). Et si j'y vois clairement une référence, c'est aussi grâce au magnifique travail de Michal Englert, le directeur de la photographie, que j'ai mentionné plus haut.

Une œuvre pudique (récompensée au Festival de Berlin du "Teddy Award"), plus occupée par la beauté d'un amour difficile que par la laideur du scandale facile. La puissance des images alliée à la très belle musique composée par Pawel Mykietyn - un quatuor à cordes presque envoûtant - et un épilogue inattendu font du film un plaidoyer en faveur de l'acceptation de l'autre. C'est aussi un film courageux, audacieux, sur l'effroi de se savoir différent et l'angoisse de voir les autres le découvrir.

 

"Aime et fais ce que tu veux", c'est une condition humaine, faite d’amour - précisément d'amour homosexuel - et de frustration, mêlée à la complexité du dilemme religieux. Malgorzata Szumowska livre une oeuvre lumineuse... Du très beau cinéma.

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