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26 février 2014

Bethléem

Bethleem

Un adolescent piégé entre la Palestine et l'Israël...

En 2005, à Bethléem, au sud de Jérusalem.

Sanfur (Shadi Marei), un jeune palestinien, vit dans l'ombre de son frère Ibrahim (Hisham Suliman) un terroriste à la tête d'un réseau influent sans la ligne de mire du Shin Beit, sans que son père Nasser (Georges Iskandar) ne lui prête une réelle attention, le héros exclusif de la famille étant Ibrahim.
Razi (Tsahi Halevi), un agent des services secrets israëliens (le Shin Bet) qui travaille en binôme avec sa collègue Maya (Efrat Shnap) sous l'autorité de Livi (Yossi Eini), qui recrute des informateurs dans les territoires occupés enrôle Sanfur, s'en fait un allié, lui offrant ce qui manque à sa vie, l'estime et la bienveillance d'un père.
Tentant d'assurer son rôle très délicat tout en restant loyal envers son frère et les siens, Sanfur navigue comme il peut d'un camp à un autre, commettant des impairs.
Les services secrets découvrent qu'il participe aux activités de son frère, tant avec l'Autorité Palestinienne, les Brigades d'Al-Aqsa menées par le colérique Badawi (Hitham Omari), et même le Hamas qui finance en secret Ibrahim, plongeant Razi dans un profond dilemme : doit-il donner une seconde chance à son indic ou obéir aux ordres ?

"Bethléem" est la première réalisation de Yudal Adler et fut tourné avec un casting fortuitement composé d'acteurs non professionnels : un travail de longue haleine puisqu'il fallut plusieurs années à Adler et Ali Waked pour réunir toutes les informations pertinentes, du côté israélien comme palestinien. Ils ont pour ce faire rencontré de vrais militants du Hamas et des Brigades d’Al-Aqsa et ont recueilli nombre de témoignages de réels informateurs et agents secrets des deux bords. Il s'agit par ailleurs du premier scénario que rédige Waked, journaliste pour le site Ynet en temps normal.

Ali Waked est Palestinien et a longtemps travaillé avec le journal Al Arabiya. Il se fait vite connaître du public israélien puisque dès 2002, il est contacté par plusieurs réalisateurs locaux pour divers projets. Il faudra attendre 2007 et sa rencontre avec Yudal Adler pour qu'il se décide à écrire un scénario. Son expérience sur le terrain lui permet d'être au plus près de l'intrigue du film. Yuval Adler avait quant à lui écrit un court-métrage, "Seduction", avant de passer à la réalisation longue, sur un jeune serrurier qui, poussé au meurtre, passe de la peur d'être pris à l'horreur de ne pas l'être. Sorti en 2006, il revient comme "Bethléem" sur l'écartèlement que peut ressentir un personnage pris entre deux sentiments. Il possède également un doctorat de philosophie de l'université de Columbia. 
Des membres de la famille d'Ali Waked, ainsi que lui-même, ont un petit rôle dans le film. Ce dernier joue son propre rôle de journaliste alors que sa femme apparaît comme une personnalité de la radio. Comme beaucoup d'autres acteurs du film, ils n'avaient aucune expérience d'actorat avant de jouer pour Adler.

Le film fut magnifiquement accueilli par la population d'Israël (Arabes et Israélites confondus) et y a battu des records de fréquentation alors même que le public local boude habituellement ce genre de film dont il craint qu'il ne soit trop orienté. Les réactions par rapport au placement politique du film sont par contre des plus diverses : Juifs et Palestiniens le trouvent indifféremment pro-Israélien ou pro-Palestinien, voire reconnaissent un manque de position du réalisateur. Celui-ci s'est en effet attaché à ne pas prendre parti et à laisser au spectateur le choix de son jugement. Le journaliste Gideon Levy du magazine et site israélien Haaretz a, à l'inverse, dénoncé "Bethléem" comme un outrageant film de propagande israélien, présentant les Arabes comme des "bad guys". Je dois dire que pour ma part, je donne plutôt raison à Gideon Levy - sans toutefois nier les intentions d'objectivité de Adler et Waked - tant les Palestiniens des Brigades d'Al-Aqsa et du Hamas sont présentés tels des brutes épaisses dénuées d'intelligence, des terroristes fanatiques tels qu'on nous les présente souvent, sans qu'il y en ait un seul pour relever les autres.

Bethleem - Tsahi Halevi

Bethleem - Shadi Marei

La qualité du film tient beaucoup de la connivence crédible entre Razi et Sanfur, qui parviennent à rendre leur relation père/fils (relation de substitution) particulièrement poignante, passant par nombre de dialogues, mais aussi de gestes, de regards, de marques d'affection presque imperceptibles. Tsahi Halevi (très beau, voir photographie ci-contre à gauche) qui joue Razi, est un chanteur-compositeur qui n'avait jamais joué devant une caméra avant "Bethléem". Il obtient malgré tout un Ophir du Meilleur Acteur dans un second rôle lors des Ophirs du Cinéma en Israël (un Ophir est l'équivalent d'un César). Quant à Hitham Omari, il est à l'origine photographe et caméraman pour Al-Arabiya et incarne dans le film Badawi, le second d'Ibrahim. Hisham Suliman (Ibrahim) et Shadi Marei (Sanfur) viennent de leur côté d'une petite troupe théâtrale, la compagnie de Nazareth et possèdent une certaine expérience de jeu. Ce dernier (voir photographie ci-contre à droite), malgré son jeune âge, parvient à jouer toute une gamme d'amotions et de sentiments pourtant difficiles à incarner : les tourments de l'adolescence, le tiraillement entre les intérêts israéliens et les intérêts palestiniens, superposés au tiraillement entre son "géniteur" Nasser et son "père" Razi, le tiraillement entre son désir de venger la mort de son frère et sa volonté à fuir en Israël... Son travail est remarquable.

Tourné sur les lieux même de l'histoire, à Bethléem, au sud de Jérusalem, avec des non-professionnels et au terme de quatre longues années d’enquête, le film est passionnant de bout en bout, essaie de creuser le plus profondément possible les cas de conscience des uns et des autres. Travail d'équilibriste s'il en est, tant il est difficile d'être objectif face à un tel sujet.

Cette manière qu'a le film d’étayer avec sobriété les multiples enjeux du conflit offre alors au film l’intensité des plus grands thrillers politiques, ceux qui parviennent à jongler sans cesse entre deux registres, à savoir celui du documentaire, et celui de la fiction. Pas de "héros" ici mais des êtres avec leurs convictions et leurs faiblesses.

"Bethléem" est aussi un film d'action rapide et efficace, réalisé à la façon de certaines films venus des USA, et à ce titre, toute la scène de la poursuite  d'Ibrahim dans les rues de Béthléem la nuit est remarquable. Bénéficiant d'une assise documentaire solide, c'est aussi une plongée désespérante au coeur de l'inextricable imbroglio israélo-palestinien. Le fait qu'il soit si particulièrement bien documenté permet à ce thriller d'espionnage permet d'atteindre un impressionnant degré de réalisme. C'est un film de genre qui respecte ses codes avec une belle maîtrise : un thriller, assurément, qui ménage ses effets de tension du récit pour s’approcher peu à peu de la tragédie.

Sans angélisme, "Bethléem" va loin quand il ose mettre sur un même plan (il semble que ce soit là sa volonté première) la violence foutraque des Brigades d’Al-Aqsa et le professionnalisme froid mais tout aussi destructeur des services secrets israéliens, le Mossad et le Shin Bet. Même si, encore une fois, je ne pense pas qu'il était nécessaire, ni souhaitable, de faire du personnage de Badawi un tel idiot.

La fin, bouleversante, laisse un goût particulièrement amer. Une amertume qui aide à réfléchir.

"Bethléem" a déjà reçu six prix à la cérémonie des Ophirs (César israéliens) dont celui du Meilleur Film, Meilleur Scénario, Meilleur second rôle masculi, Meilleur Réalisateur. Il a également remporté le Grand Prix Venice Days et est présélectionné pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Cette avalanche de prix et de nominations, même mérités, tend selon moi à accorder du crédit à ce qu'écrit Gideon Lévy - même s'il faut le pondérer - devant un film qui fait quand même du personnage de Razi, un agent du Mossad particulièrement sensible...

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