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11 mai 2014

L'armée du salut

L'armée du salut

Se construire, hors la famille, hors la société...

Dans un quartier populaire de Casablanca, Abdellah (incarné par le jeune Saïd Mrini, formidable), adolescent homosexuel qui n'a que de sordides et furtives expériences sexuelles, essaie de se construire au sein d’une famille nombreuse, entre une mère autoritaire (Malika El Hamouni), un père dépassé et parfois violent (Abdellank El Swilah), un frère aîné Slimane (Amine Ennaji) qu’il aime passionnément et cinq soeurs.

Quelques années plus tard, jeune adulte (incarné par Karim Ait M'Hand) il rencontre un touriste suisse, Jean (Frédéric Landenberg) avec qui il noue une relation sentimentale. Et c'est à Genève, après avoir obtenu un bourse, qu'il décide alors d'aller terminer ses études...

Déterminé à réussir, il n'est pas accueilli comme il l'aurait souhaité, et c'est ainsi qu'il se retrouve hébergé et nourri dans un centre d'hébergement de l'Armée du Salut. 

Abdellah Taïa

"L"armée du salut" est l'adaptation du roman éponyme, écrit par celui qui est également le réalisateur du film : Abdellah Taïa (photographie ci-contre). Celui-ci confie que c'est une adaptation qui trahirait presque le livre car il n'a pas cherché à en faire une adaptation fidèle. Il confie avoir réécrit le scénario à partir des souvenirs qu'il avait du livre sans toutefois le relire. Abellah Taïa signe avec "L'Armée du Salut" son premier film. Cependant, le réalisateur est un écrivain reconnu puisqu'il a déjà publié cinq ouvrages, mélange de nouvelles et de romans.

Il faut tout de suite signalée que c'est Agnès Godard la directrice de la photographie. Son travail est remarquable. Nous lui devons quelques splendeurs : "Beau Travail" de Claire Denis (elle signe la photographie de tous les films de la réalisatrice), "Wild Side" de Sébastien Lifshitz, "Les Égarés" d'André Téchiné, "Home" et "L'Enfant d'en haut" de Ursula Meier, "Simon Werner a disparu" de Fabrice Gobert. Elle a travaillé pour Agnès Varda, Peter Handke, Noémie Lvovsky, Jacques Nolot, Éric Zonka, Catherine Corsini, Martin Provost, Brigitte Roüan... Ici, elle film magnifiquement Casablanca et ses alentours, participant pleinement à l'atmosphère de langueur que souhaitait le réalisateur.

L'armée du salut - Mrini Saïd

L'armée du salut - Karim Ait M'Hand

L'armée du salut - Amine Ennaji

Le jeune Saïd Mrini qui joue Abdellah adolescent, une révélation, est excellent, tout en silence et en crainte, mais le regar affûté plein de malignité (photo du milieu). C'est Karim Ait M'Hand (photo de droite) qui incarne Abdellah adulte : il a précédemment joué dans "Chebda Louisa" de Françoise Charpiat, et dans "La Crème de la crème" de Kim Chapiron. Quand à Slimane, le grand frère d'Abdellah, il est incarné par Amine Ennaji (photo de droite), qui figurait aux génériques de "L'ennemi intime" de Florent Émilio Siri (2007), le très pertinent mais peu connu "Les Mécréants" du Marocain Mohcine Besri (2011) et dans "Syngué Sabour" de Atip Rahimi (2013).

 

 

L'armée du salut - Abdellah et Mustafa

Si l'homosexualité est l'un des thèmes du film, le but de celui-ci n'est pas de traiter ce sujet en profondeur : "Quand j’écrivais le scénario, ce qui m’importait le plus était de dire par les images le fonctionnement compliqué, complexe, du monde marocain et de placer, au coeur de la réalité de ce dernier, des signes assumés de l’homosexualité. Je ne voulais ni faire un film de société à thèse, ni isoler un sujet et le traiter de manière évidente, attendue" explique l'auteur-réalisateur.

Le personnage d'Abdellah n'est pas présenté comme une victime. Le but est de montrer un protagoniste qui fait aussi du mal autour de lui : "Il était hors de question de faire de lui un personnage pur, innocent. Une victime. Lui aussi, il est par nécessité dans les stratégies et la malignité. Il fait du mal. Et il ne semble pas éprouver de sentiments de culpabilité." 

L'armée du salut - famille 2

L'armée du salut - famille 1

L'histoire dont le personnage porte le nom du réalisateur est directement inspirée du passé de celui-ci: "Pour réaliser ce film, il a fallu que je trouve le moyen de l’objectiver. Sortir de moi-même. Que cette histoire ne soit pas uniquement la mienne. Regarder donc ce héros, et son monde, à partir d’une distance s’est imposé à moi assez rapidement. Je ne voulais ni être dans le pathos ni dans la séduction à tout prix." 

Le thème de l'eau est assez présent dans le film car le réalisateur a grandi près d'un fleuve et c'est un environnement qui l'a beaucoup entouré. Le film s'inspire aussi du cinéma égyptien et du cinéma indien. Abdellah Taïa confie que ce sont ses premiers souvenirs de cinéma et que ce sont ces cinémas qui lui ont donné envie de réaliser. Malgré les différences esthétiques qui existent entre ces films et le sien, le réalisateur y voit une continuité car "le lien esthétique entre eux est évident pour moi : il est né dans mon enfance." 

Avec peu de dialogues et beaucoup de regards qui en disent long, Abdellah Taïa nous plonge ainsi dans cette atmosphère pesante, où l'opacité et la frustration ouvrent parfois la voie à des situations d'abus, de  dérives. Il prend soin, cependant, de garder une certaine distance avec son héros, qui est une distance avec soi-même. C'est remarquable. L’atmosphère cotonneuse et languide de la première partie, où se confondent désirs coupables et humiliations feutrées, est particulièrement réussie, la seconde partie, à Genève restant de facture plus classique. 

On retrouve dans son film la sécheresse précieuse de sa prose (assez semblable à celle de Rachid O.), cet art du détournement et de la suggestion propre à exprimer par la plus grande économie de moyens les plus grands bouleversements intimes. Abdellah Taïa est d’ailleurs bien inspiré de s’en tenir à ce registre ambigu et secret d’une souffrance qui ne sait pas comment ni à qui le dire, les rares scènes dialoguées et explicatives tranchant avec la beauté triste du reste du film.

C'est du cinéma, ça peut donc déplaire, mais moi, j'ai beaucoup aimé.

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